11-Belvédère du Pont du Moulin-Douane

Paulette, « contrebandière » suisse astucieuse, en 1947.

Je m’appelle Paulette, j’ai 25 ans et j’habite à Saint-Gingolph, Suisse.  Comme de nombreux habitants de la région, je profite de la proximité de la frontière pour améliorer mon quotidien. Saint Gingolph fait partie d’une « petite zone franche » où les échanges sont facilités.  Mais c’est avec les villages plus éloignés de Haute-Savoie que nous avons mis en place quelques petites « combines »… Pour ma part, j’ai un truc infaillible pour passer toute la marchandise que je veux : je la cache dans mes jupes.  Les douaniers qui me connaissent depuis que je suis petite fille n’osent pas vérifier ce qu’il y a dessous !

Depuis toujours, les hommes de ma famille profitent de leur connaissance de la montagne pour « aller aux provisions » en France. Ce sont surtout des produits de première nécessité qu’ils échangent avec nos voisins : tabac, sel, produits laitiers, viande. Parfois, il s’agit de biens de plus grande valeur, comme des montres, que l’on cache dans des miches de pain. C’est devenu presque un jeu de trouver des astuces pour tromper les douaniers et éviter de payer des taxes : quand nous allons à la foire de septembre, à Abondance avec mes amies et mes cousines, c’est pour acheter de nouveaux vêtements, moins cher… alors, on s’arrange pour porter, à l’aller, de vieux habits, usés jusqu’à la corde.  Là-bas, on les jette à la poubelle et on revient, le soir, habillées de neuf !

Pendant la guerre, comme c’était presque impossible de trouver certains produits, nous n’avions même pas besoin de nous déplacer : les genevois montaient l’été à l’alpage pour acheter directement du beurre, qui se vendait à prix d’or.  Mais dans ma famille, nous avons aussi fait preuve de courage à plusieurs reprises, nous avons aidé des réfugiés français à entrer en Suisse.  Pour cela, nous avions une méthode infaillible : pendant la nuit, je devais conduire une chèvre avec sa sonnette qui s’entendait de loin.  Les douaniers m’interpellaient et je devais dire que j’étais perdue.  Ils me ramenaient au poste et, pendant ce temps, la voie était libre pour mon père qui pouvait passer comme il voulait.

Par contre, ma mère, qui est assez près du Bon Dieu, regardait d’un mauvais oeil tous ces trafics. Aussi, elle a demandé au curé si c’est un péché de faire de la contrebande. Et celui-ci a répondu : « Si c’est fait honnêtement, c’est pas un péché ; c’est un péché seulement si on se fait prendre. »  Du coup, je fais une petite prière à la Sainte Vierge avant de partir, pour qu’elle me protège des douaniers.