04-Belvédère de Lavaux

Un jeune chevrier, vers 1900.

Collection Benoit Grandcollot

On m’appelle « petit homme »; je suis chevrier et j’ai 10 ans. J’ai appris à traire les chèvres à 6 ans. Après deux étés passés en montagne comme apprenti chevrier, je m’occupe aujourd’hui tout seul d’un troupeau de 40 bêtes.

Les chèvres sont câlines, curieuses et gourmandes, comme moi ! Robustes, elles sont d’excellentes grimpeuses ; elles adorent jouer, sauf quand le temps est humide et froid, c’est pourquoi l’hiver, elles restent dans l’étable. Mais l’été, elles aiment l’air libre de la montagne! Comme moi !

L’alpage de l’Au-de-Morge au-dessus de Saint-Gingolph
Collection Benoit Grandcollot

Avec mon grand frère qui s’occupe de nos vaches, on monte en altitude dès le mois de mai. On fait une première halte sur le pâturage du Freney pour profiter de la bonne herbe. Début juin, on grimpe le sentier taillé à travers les bois-taillis et les broussailles qui conduit à l’alpage de la Chaumény, en forme d’entonnoir, sous la face nord du Grammont. Là-haut, la pente est raide, le chalet de pierres, couvert de tavillons, sert d’abri et d’écurie. On y reste jusqu’à fin septembre. Mon papa a loué cet alpage à la Communauté de Saint-Gingolph pour 4 ans. On y estive nos bêtes, mais aussi quelques vaches d’autres paysans. De mon côté, le gendarme du village, Monsieur Pernay, m’a confié cet été ses deux chèvres. 

Là-haut, on n’a ni électricité, ni eau courante. On dort sur la paille et on se lave une fois par semaine dans le ruisseau, l’eau y est glacée. On ne voit personne, à part de temps en temps, quelques chamois et marmottes. On n’a toutefois pas le temps de s’ennuyer : chaque journée est réglée sur la vie du bétail et le rythme du soleil. On se lève à 4h pour la traite, puis je conduis les chèvres sur les hauteurs. Je veille à ce qu’elles mangent des herbages variés, ainsi que des buissons et autre ligneux pour donner du bon lait, qui fera lui-même du bon fromage ! Je cuisine à midi et le soir pour mon frère et moi : pain sec, fromage, lard, soupe, et pommes ou poires séchées. Le soir, je ramène les chèvres à proximité du chalet, au son du cor. Bien sûr, j’aide aussi mon frère à la fabrication du fromage : les chèvres produisent un séré gouteux que l’on descend au village sur des feuilles de « taconnet », ou « pas-d’âne ».  La vie n’est pas tous les jours facile, mais à la montagne, avec mes chèvres, je me sens bien !